Jo-Annie Gagnon, B.Sc. Coordonnatrice du programme d’éducation au centre de réhabilitation Le Nichoir pour oiseaux sauvages
L’an dernier, La Verrerie Walker a débuté une série d’articles sur les collisions d’oiseaux contre les structures résidentielles. Nous reprenons le sujet avec un article écrit du point de vue d’un centre de réhabilitation d’oiseaux sauvages situé dans la grande région de Montréal, Le Nichoir. Dans cet article, Jo-Annie Gagnon, B.Sc., partage avec nous les résultats de ses analyses faites dans le cadre de son mandat comme coordonnatrice du programme d’éducation au Nichoir.
Les collisions d’oiseaux contre les fenêtres
Depuis 1996, les biologistes qui travaillent au centre ont souvent affaire avec des oiseaux nonchalants, qui ont de la difficulté à garder leur équilibre et qui présentent parfois une enflure à la tête. Ce sont tous là des signes que l’oiseau est entré en collision avec une fenêtre. Ce type de collision, avec les attaques faites par des chats, sont les premières causes de blessure et de mortalité chez les oiseaux qui sont admis au centre de réhabilitation.
La problématique des collisions entre les oiseaux et les édifices commerciaux en verre est une situation bien documentée. Les campagnes de conscientisation sur les impacts négatifs des constructions commerciales ont porté fruit et des changements significatifs furent apportés, comme des législations dans de multiples villes en Amérique du Nord. Toutefois, les collisions ne se limitent pas qu’aux édifices commerciaux en pleine ville. Bien que les groupes de conservation de la faune enregistrent des collisions toute l’année durant, le nombre augmente de façon considérable en milieu urbain durant les saisons migratoires. En fait, les fenêtres des maisons résidentielles sont responsables de la majorité de ces accidents. Ce phénomène est facilement observable pour Le Nichoir, puisque les oiseaux blessés admis en réhabilitation sont souvent trouvés près d’une maison. Cela démontre qu’il y a un besoin urgent d’agir et de développer des moyens d’éduquer la population pour réduire les risques de mortalité chez les oiseaux.
Les oiseaux, le verre, les mangeoires
Les collisions entre les oiseaux et les fenêtres surviennent parce que les oiseaux n’ont pas la notion du verre et de la limite physique qu’il représente. Les oiseaux méprennent la réflexion de la végétation sur le verre pour la continuité de leur habitat. Ils croient pouvoir traverser s’ils sont capables de voir de l’autre côté. Par exemple, si deux fenêtres se font face, ne serait-ce que dans une petite section de la maison, les oiseaux pourraient tenter de voler dans ce qui leur apparaît être un espace vide et sécuritaire. La tendance grandissante d’utiliser des garde-corps en verre ne fait qu’augmenter cette menace.
Le soir, lorsque qu’il fait noir, les lumières à l’intérieur des maisons attirent les oiseaux et cela joue avec leur conception de l’espace. Il y a donc plus de risques de collisions, particulièrement lors des saisons migratoires.
Le but de toutes mangeoires est d’attirer la faune locale et malgré le risque qu’elles présentent, elles sont très bénéfiques pour les oiseaux. Le secret réside dans la position de la mangeoire par rapport à la maison. La plupart du temps, les collisions ont lieu alors que l’oiseau arrive d’une distance de plus d’un mètre. À partir d’une plus petite distance, les oiseaux ne volent pas à une vitesse suffisante pour se blesser. Donc, placer une mangeoire à moins d’un mètre d’une fenêtre réduit de façon exponentielle les risques de collisions et de blessures graves. De plus, lorsqu’ils arrivent pour se positionner sur une mangeoire, les oiseaux n’ont d’autre choix que de ralentir.
La réhabilitation
En 1996, Le Nichoir a accueilli 420 oiseaux. 25 ans plus tard, le centre s’occupe de réhabiliter plus de 2 500 oiseaux annuellement. Nombreuses sont les raisons pour lesquelles un oiseau est admis au centre. On parle d’oiseaux orphelins, d’accidents avec des voitures, des oiseaux coincés dans quelconques débris, une mauvaise nutrition et des attaques perpétrées par des chats. Il est important de noter que ces statistiques ne tiennent pas compte du taux de mortalité, mais bien des oiseaux qui ont survécus à une collision, bien que blessés, et qui ont été recueillis par Le Nichoir.
Ce genre d’accident passe plus souvent qu’autrement sous le radar. Soit parce que les oiseaux blessés et sans défense ont été attaqués par des prédateurs, soit parce que les services d’ordures les ont ramassés, ou tout simplement parce qu’ils ont réussi à quitter le site de l’accident. Même au centre de réhabilitation, certains oiseaux qui présentent des symptômes de collisions ne sont pas traités comme étant des victimes d’accidents avec des fenêtres. Ce faisant, ils ne sont pas comptés dans les statistiques. En considérant tous les facteurs, on peut conclure que le danger que représentent les fenêtres de maisons résidentielles est bien plus grand que ce que nous démontrent les rapports et statistiques.
Comme on peut se l’imaginer, les oiseaux migratoires qui entrent en collision avec une fenêtre représentent un très grand nombre d’admissions au centre. De 20 à 30% des parulines, colibris et roitelets huppés qui sont accueillis au centre sont victimes de collisions avec un édifice. Étonnamment, un grand nombre de pic-bois, qui ne sont pas des oiseaux migratoires, sont recueillis par Le Nichoir à la suite d’accidents sévères avec des fenêtres. Plus du tiers des pics poilus et un cinquième des pics mineurs qui font leur entrée au centre sont victimes d’accidents avec du verre. Habitués de picorer, leur crâne semble plus robuste que certaines autres espèces, et cela les protègerait de souffrir de trop grandes blessures à la suite d’un impact. Toutefois, les symptômes sont similaires d’une espèce à l’autre : bec fendu, tête qui présente une enflure, blessures aux yeux, traumatisme crânien ou blessures aux ailes. Dans la plupart des cas, les oiseaux ont besoin de médication, de traitement à l’oxygène, ainsi que beaucoup de repos.
Seulement 40% des oiseaux admis à la suite d’une collision avec une fenêtre survivent à leurs blessures.
Crédits : Wendy Dollinger, présidente du Nichoir
Les résidents qui trouvent des oiseaux blessés près de leur propriété affirment que ce n’est pas la première fois, et peuvent souvent même identifier quelle fenêtre pose un danger. Cela démontre que certaines fenêtres sont plus propices aux accidents que d’autres. On peut expliquer ce phénomène par la position du verre par rapport à la nature et végétation environnante. Les solariums et la récente tendance aux rampes de verre dans l’architecture résidentielle font aussi partie du problème. Plus de surfaces de verre, plus de danger.
Pourtant, les gens sont réticents à couvrir le verre de motifs efficaces puisque ça dénature les fenêtres, dit-on. Malheureusement, ils choisissent quelques décalques plus jolis, mais qui ont une efficacité très limitée. Pour réduire de façon significative les risques de collisions, il faudra normaliser et encourager l’usage de marqueurs visuels dans les fenêtres et le verre pour la sécurité des oiseaux. Il faudra aussi appliquer toutes les mesures concernant le positionnement des mangeoires et accessoires pour oiseaux sauvages. C’est ce qui fera vraiment la différence pour réduire les risques.
Une leçon pour l’industrie
Cet article est écrit du point de vue professionnel d’un centre de réhabilitation. Maintenant, imaginons quels seraient les chiffres si l’on combinait tous les centres de réhabilitation en Amérique du Nord. C’est une problématique qui est prise au sérieux par plusieurs villes du continent. Des législations sont mises de l’avant et des changements dans les codes du bâtiment sont apportés. Toutefois, ces règles régissent les édifices commerciaux seulement. Pour ce qui est du domaine résidentiel, ce n’est qu’une question de temps avant que des mesures ne soient adoptées. Cela va de soi et s’intègre complètement dans une optique de développement durable.
À propos du Nichoir
Le Nichoir est situé à l’entrée de la réserve naturelle Clarke Sydenham à Hudson, Québec. La mission est de conserver et réhabiliter les oiseaux sauvages, puisqu’ils font partie de notre patrimoine faunique. On se doit de le protéger pour les futures générations. Le Nichoir agit concrètement en apportant une aide professionnelle et beaucoup de compassion aux oiseaux orphelins ou blessés. Plus de 2 500 oiseaux sont admis chaque année au Nichoir. Dans ce nombre, on compte plus de 100 espèces différentes provenant de 180 municipalités dans toute la province. Cela fait du Nichoir un des plus importants centres du genre au pays. Le centre a aussi bâti un programme d’éducation à la protection de l’environnement qui est ouvert au public. On y retrouve tout un panel d’ateliers de sensibilisation pour tous les âges : des activités interactives pour les enfants, des séminaires, des activités familiales, des tours guidés du centre, des kiosques d’information dans différents rassemblements communautaires, etc. Et comme si ce n’était pas assez, le centre s’est doté d’un service à la clientèle indispensable, qui répond annuellement à plus de 14 000 courriels et appels téléphoniques.
Apprenez-en plus à lenichoir.org/fr
Références
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